L’intervention s’est très bien déroulée, pas de problème particulier. Une première victoire. Il a envie de vivre, je le sais. Alors maintenant c’est à moi de réagir et de m’accrocher pour être là, pour lui.
Les suites opératoires ont surtout été marquées par un granulome sous glottique post-intubation, qui nécessite un traitement corticoïde. A cause de cela, ils parlent maintenant d’une trachéo-laryngoscopie. Pour moi tous ces termes barbares ne représentent que de la souffrance pour mon bébé.
En fait la cortisone en est venue à bout, mais il restera très fragile à chaque intubation. Enfin grâce à l’anastomose sa Saturation est passée de 60 à 80 %. Il est relativement rose.
Il est beau comme tout…et enfin il rentre à la maison, on est le 3 octobre. Il a juste un traitement (digoxine, potassium, lasilix, persantine, catalgine et encore de la cortisone pour son granulome), mais ça ce n’est rien, il est là c’est le principal. Je ne sais pas pour combien de temps, mais il est là, c’est tout ce qui compte et il a l’air d’aller à peu près bien, je dis bien à peu près, car il se fatigue très vite, il dort énormément, il a du mal à finir ses biberons… C’est très angoissant…
Et tant bien que mal, le temps passe, Anthony prend quand même un peu de poids. Mais fin novembre, rien ne va plus, il fait quelques petits malaises, il est bien cyanosé et par moments on dirait une poupée de chiffon, il n’a plus aucune réaction, c’est terrible, ça me fait peur…
Il est hospitalisé en pédiatrie à l’hôpital de notre région. Devant mon inquiétude le pédiatre contacte le Dr WORMS à Nancy, qui décide de voir Anthony dès le lendemain. Je suis désespérée, de nouveau il faut repartir là-bas, mais le pire c’est de ne pas savoir ce qui va arriver, ce que les médecins vont dire, ce qu’ils vont découvrir.
La consultation n’est pas très optimiste, la Saturation est redescendue à 68 %.
Madame WORMS craint que son anastomose ne commence à se boucher. Mais bon, on peut repartir quand même. Pour elle c’est à peu près stable, mais Anthony devra être sous tente à oxygène à la maison, environ 6 heures par jour. Une galère de plus… Et effectivement avec l’oxygène tout à l’air d’aller mieux, il a l’air plus tonique, je trouve qu’il est un peu moins bleu, il mange mieux aussi.
Et les jours passent, la vie a changé, tout tourne autour de lui, je ne vais pas bien du tout, je commence à réaliser et à culpabiliser. Culpabiliser par rapport à sa maladie, mais aussi culpabiliser par rapport à mon autre petit garçon qui se sent délaissé. Je ne sais pas comment faire, je n’arrive pas à être disponible pour lui, du moins pas assez à son goût et je le comprends bien. C’est terrible.
Je suis tellement fatiguée, je ne dors pratiquement pas, la plupart des nuits je les passe sur le fauteuil à côté de son lit. J’ai beau me raisonner, me dire que de toute façon, s’il devait arriver quelque chose, je ne pourrais rien faire, mais c’est plus fort que moi, il faut que je sois à côté de lui, que j’entende sa respiration, que je le touche, que je lui parle….
Février 1988, nouvelle consultation à Nancy : tout est stable. OUF. Il a une croissance satisfaisante, il est assez éveillé. Donc rien d’anormal, on continue notre petit bonhomme de chemin. Fin juin, il a 11 mois mais il ne marche toujours pas, ne se tient pas debout, il ne sait même pas marcher à 4 pattes, il sait juste se tenir assis. Il est vu par un spécialiste en orthopédie. Et là nouveau coup de massue : on me parle d’infirmité motrice cérébrale légère, de troubles de la maturation cérébrale…
Qu’est ce que c’est encore que cette histoire, il n’en avait déjà pas assez comme ça ? Le destin s’acharne, je suis complètement effondrée. Je ne sais pas trop ce que veut dire tout ça, je ne comprends pas bien.
Le médecin orthopédiste propose de la rééducation par un kiné.
Je ne veux pas en rester là, je veux savoir. Je contacte Nancy qui propose un RV auprès du spécialiste de neurologie infantile. On fait à Anthony un électro-encéphalogramme et un caryotype qui s’avèrent tout à fait normaux. Donc le neurologue en conclut qu’il s’agit là d’un simple retard de tonus musculaire du à une carence de stimulation liée aux longues hospitalisations, qu’il aurait du retard mais qu’il n’y avait aucune raison pour qu’il ne marche pas.
Effectivement il marchera pour ses 2 ans….Une autre victoire… Lors de la consultation début juillet, Madame WORMS le trouve stable mais prévoit quand même un cathétérisme et une angiocardiographie pour début octobre.
C es explorations confirment que l’anastomose est sténosée à son origine et que par ailleurs il existe une obstruction de l’artère sous-clavière gauche.
En outre l’artère pulmonaire gauche s’est bien développée mais la droite reste par contre très insuffisante avec probablement une sténose à sa partie moyenne. Anthony est également très cyanosé, la Saturation varie entre 58 et 64.
Donc les médecins jugent nécessaire de faire une nouvelle anastomose palliative sans attendre car Anthony est encore trop jeune pour qu’ils puissent envisager une correction complète de la malformation.
Et là je note une petite amélioration par rapport au diagnostic alarmant du départ : « il n’est pas exclu que l’on puisse toutefois, par la suite, corriger complètement la malformation … »
Ce n’est pas sûr, mais quand même ce n’est pas exclu. Un peu de baume au cœur…
Anthony 1 an avec son arrière grand mère.
Je remarque que ma vision des choses a un peu évolué. A l’annonce de la maladie, il n’y avait de place que pour le désespoir, je ne croyais pas en l’avenir. Au fil des mois, même s’il sera toujours aussi difficile d’accepter et d’assumer le quotidien, je ne vivrai plus que pour la moindre petite amélioration et j’y croirai un peu plus, je deviendrai un peu moins défaitiste.
Dés le lendemain mon bébé sera transféré à nouveau à Bichat dans le service du Pr. LANGLOIS.
On est le 3 octobre 1988, il a 1 an et 2 mois.
Je n’ai pas vraiment le temps de réagir. Je me rends compte simplement qu’il va de nouveau partir, ce n’était pas prévu, moi il faut que je rentre, j’ai mon autre petit garçon qui m’attend. Je suis déchirée, je voudrais pouvoir me couper en 2, je n’ai pas envie de laisser Anthony partir seul et d’un autre côté je ne peux pas ne pas rentrer, Nicolas m’attend, il ne comprendrait pas, je lui ai promis que je reviendrais, je ne peux pas lui faire ça, je l’ai déjà assez délaissé, je me sens tellement coupable, doublement coupable….Alors le cœur gros je rentre à la maison… A l’arrivée dans le service il pèse 9kgs800, mesure 80 cm, il est extrêmement cyanosé au repos.
Mais là un problème survient, il y a une grève des personnels hospitaliers, on est le 4, il sera opéré seulement le 12.
8 jours pour rien, 8 jours d’angoisse et d’éloignement pour rien.
Finalement l’intervention est réalisée le 12 de nouveau par le docteur DE BRUX, elle consiste en la mise en place d’une nouvelle anastomose palliative de type Blalock Deleval droit avec un Gore-tex n°6 par thoracotomie droite. Les suites post-opératoires sont simples, tout se passe très bien, dans notre malheur nous avons quand même de la chance….
Je trouve le temps long, j’ai l’ennui de mon petit bout de chou, il me manque terriblement, c’est viscéral. J’ai encore les tripes nouées rien que d’en parler, car c’est vraiment des tripes qu’il s’agit quand ça touche nos enfants. Je veux le voir, je retourne à Paris et là quand j’arrive dans la chambre, je le vois assis dans son petit lit, il ne dit rien, il est sage comme tout, je m’approche tranquillement, j’ai tellement envie de le prendre dans mes bras.
Il me voit, me regarde, mais ne manifeste apparemment aucune émotion, aucun geste. Je suis tout près, je lui parle, et là je comprends : il ne me reconnaît pas, il m’a oubliée. A ce moment-là une infirmière rentre dans la chambre et dés qu’il la voit, il lui sourit et lui tend les bras. Alors là c’est trop, je sors dans le couloir et j’éclate en sanglots, c’est l’instant le plus terrible de ma vie et pourtant il y en a des épreuves épouvantables tout au long de cette maladie. C’est indescriptible, encore aujourd’hui, rien que de relater ce souvenir, j’ai les larmes qui coulent. … C’est comme si j’y étais, je le vois devant mes yeux, il porte un petit pyjama rouge avec des rayures bleues…
Je n’oublierai jamais ce moment. Aujourd’hui, je le sais.
L’infirmière vient me trouver et essaie de me calmer, elle me dit que c’est normal, que pendant les quelques jours qui nous ont séparé, beaucoup de choses difficiles se sont passées pour lui, et qu’il s’est accroché aux personnes qui l’entouraient.
Il faut que je le réapprivoise, ça ne durera pas. Malgré ce que l’on peut croire un bébé a de grandes facultés d’adaptation. Effectivement une heure après c’est comme si l’on ne s’était jamais quitté. Mais là je me suis juré une chose : je me débrouillerai comme je pourrai, mais jamais, jamais plus, je ne le laisserai seul et je ne l’ai plus jamais laissé seul, je ne l’ai plus jamais quitté. La consultation de décembre est satisfaisante : « bonne tolérance de la cardiopathie » comme ils disent, la Saturation remontée à 80 % grâce à l’intervention, reste stable, toujours le même traitement médicamenteux et prochain RV à Nancy dans 6 mois et surtout il ne sera plus obligé d’être sous oxygène à la maison.
Ouf, dans ma tête je me dis que tout doit bien aller alors…
Et effectivement pendant environ 5 ans tout va bien. Oui enfin quand je dis tout va bien, il faut mettre de côté tous les petits bobos qui seraient anodins chez d’autres enfants et qui peuvent mal tourner chez ces enfants là, d’où une vigilance de tous les instants.
Alors entre un médecin de garde qui ne comprend pas qu’on puisse le déranger pour un petit 38, même en expliquant la maladie et un autre qui veut l’envoyer direct à l’hôpital parce que c’est un médecin débutant et qu’il a paniqué dés qu’il a posé le stéthoscope sur Anthony, la route est difficile…. Anthony a également fait de nombreux épisodes de fortes fièvres occasionnées par une infection urinaire due à une « saloperie de microbe » : le pyocyanique, d’origine nosocomiale. Le microbe s’endormait par périodes et il récidivait chaque fois que le gamin était fragilisé sur un plan quelconque. On devait l’hospitaliser car il n’y avait que les traitements en perfusion qui marchaient.
Alors quand je dis tout va bien, tout est relatif !!!
Mais il faut bien que la vie reprenne son cours, même si c’est dur, il faut faire avec, il faut accepter.
Enfin bref, je ne vais pas vous apprendre à vous, parents d’enfants atteints de cardiopathie ou de tout autre maladie grave, que c’est un combat permanent et à quel point on peut en baver !!!
Nous seuls savons ce qu’il en est, personne d’autre ne peut comprendre, ni se mettre à notre place.
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